Le prix des sentiments : au cœur du travail émotionnel

Conseil de lecture du livre d’Arlie Russel Hochschild

Le 26 décembre 2007, j’ai perdu mon grand-père. C’était la première fois que je perdais quelqu’un de ma famille, dont j’étais très proche.

Le lendemain, je devais continuer à recevoir des salariés en entretien pour mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi. Je me rappelle encore la dualité entre la jeune femme intérieurement dévastée que j’étais, et ce que je laissais paraître aux personnes que je recevais. Le sourire de façade cachait une profonde tristesse. Ce jour-là, j’ai pu accomplir mon travail avec empathie, bienveillance et écoute. J’avais appris depuis longtemps à contenir mes émotions même si personne ne m’avait demandé de sourire ce jour-là.

Dans les entreprises de services, en revanche, mettre ses émotions de côté peut être une demande clairement exprimée par l’employeur. Il en va ainsi des compagnies aériennes qui demandent à leurs hôtesses de recevoir les clients comme si elles les accueillaient chez elles.

Dans son livre, Arlie Russel Hochschild souligne l’importance grandissante du travail émotionnel dans notre société, ses risques et ses dérives. Elle ose le parallèle entre le travail de l’enfant ouvrier au 19ème siècle et le travail de l’hôtesse de l’air au 20ème siècle. Elle met en lumière que « si l’on va au-delà des différences entre travail physique et travail émotionnel, on se rend compte qu’ils ont un coût potentiel identique pour l’employé qui les effectue. »

Si je commence mes conseils de lecture par ce livre, c’est parce que j’accompagne des personnes pour trouver leur équilibre de vie, et surtout pour se réparer et se reconstruire après un burn-out. Or, le travail émotionnel est une étape importante de la reconstruction après un burn-out.

Ce livre apporte des clés de lecture sur la gestion des émotions dans la vie professionnelle, les exigences de plus en plus fortes sur les personnes qui exercent ce travail émotionnel, les choix conscients ou inconscients réalisés pour l’effectuer, les risques et les dérives. Elle rappelle l’importance de rester connecter à ses émotions qui sont nos indicateurs primaires pour nous adapter à notre environnement.

Quelques mots sur l’auteur…

Arlie Russell Hochschild, fille de diplomates, est fascinée très tôt par les limites que les gens tracent entre l’expérience intime et l’apparence. Elle raconte dans la préface de son livre, The Managed Heart : The Commercialization of Human Feeling : « Je me suis fréquemment retrouvée à faire passer un bol de cacahuètes parmi les invités souriants de mes parents – les sourires diplomatiques peuvent changer d’aspect selon s’ils sont vus d’en-dessous ou de face ». Elle partage également qu’elle adorait écouter ensuite ses parents interpréter les gestes de leurs invités. Une question revenait lors de ces soirées : « Avais-je passé les cacahuètes à une personne, me demandais-je, ou à un acteur ? Où finit la personne, où commence l’acteur ? Comment la personnalité d’un être et le rôle qu’il endosse s’articulent-ils, quel rapport existe-t-il entre eux ? »

Ces expériences ont probablement inspiré sa carrière et ses travaux. En effet, après son doctorat à l’Université de Californie à Berkeley, Arlie Russell Hochschild deviendra professeure de sociologie. Inspirée des travaux de Charles Wright Mills, elle proposera l’idée d’un « travail émotionnel ». C’est cette notion qu’elle développe dans ce livre.

La notion d’émotions

Selon l’auteur, les émotions ont une fonction de signal. En effet, le terme « émotion » vient du latin movere qui signifie se mouvoir, se mettre en mouvement. La fonction de l’émotion est de permettre à la personne de s’adapter à son environnement. L’autrice va plus loin dans cette définition. Elle met en évidence que « l’émotion signale ce que nous mettons de « nous-même » dans l’acte de voir l’« autre ». »

« Le sentiment, lorsqu’il émerge spontanément, agit comme un indice – pour le meilleur et pour le pire. Il met au jour des preuves de la pertinence pour soi-même de ce que l’on voit, de ce dont on se souvient ou de ce dont l’imagine. »

Dans ce livre, l’autrice met en avant les dangers de se couper de ses émotions pour répondre à une demande de son employeur. Elle fait le parallèle avec le travail de l’acteur qui joue son rôle au théâtre.

Le travail émotionnel

Arlie Russel Hochschild précise qu’il ne faut pas décorréler le poids de l’économie de marché sur les emplois « qui nécessitent plus ou moins de manipuler nos sentiments et ceux des autres ». Pour comprendre le sens du travail émotionnel et sa portée sur les personnes qui le réalisent, il est important d’intégrer que c’est l’articulation des sentiments et de leur gestion qui représente une part importante de l’emploi des hommes et des femmes. Elle précise que si un tiers des travailleurs américains sont concernés par le travail émotionnel, la moitié des femmes sont impactées. En effet, les femmes ont une propension liée à l’héritage sociétal et culturel, à mieux gérer leurs émotions dans la sphère privée pour se mettre au service des émotions de l’autre. C’est pour cette raison qu’elles ont été les premières à être sollicitées pour développer le travail émotionnel et qu’elles en connaissent mieux le prix.

Quand une personne accomplit un travail émotionnel pour gagner sa vie, Arlie Russel Hochschild l’invite à se poser 3 questions dont les réponses détermineront la définition de son « moi » :

    1. Comment puis-je m’identifier réellement à mon rôle professionnel et à l’entreprise sans être confondu avec elle ?
    2. Comment puis-je utiliser mes capacités quand je suis déconnectée de ceux pour lesquels je joue ? 
    3. Est-ce que je sonne faux ?

En fonction des réponses apportées, nous pouvons nous situer sur l’importance qu’a pris notre travail sur notre moi profond, sur notre capacité à écouter nos propres signaux ou à nous couper totalement de nos signaux.

Pour terminer son livre, Arlie Russel HOCHSCHILD souligne le coût du travail émotionnel sur les individus, notamment quand la charge de travail augmente, que les cadences augmentent, et que les attentes en matière de travail émotionnel, restent les mêmes. Comment apporter la même empathie, quand le nombre de clients augmente considérablement et que les tâches à accomplir sont également plus importantes pour une durée équivalente ?

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Cet ouvrage est plus que jamais d’actualité. Il s’inscrit dans une double critique : critique du rôle émotionnel imposés aux femmes, critique de la primauté des enjeux financiers et des effets sur les individus.

J’invite à lire ce livre afin de bien comprendre l’impact du travail émotionnel et la nécessité d’accompagner les personnels en première ligne, à trouver la bonne manière pour chacun de répondre aux attentes de l’entreprise sans y laisser une part de soi.

Je le propose souvent aux personnes qui ressentent comme une perte d’identité, qui sont submergées par leurs émotions ou au contraire, qui sont complètement coupées des principaux signaux. Ce livre leur donne matière à réfléchir sur l’origine des difficultés d’ordre émotionnel.

À l’époque où tout le monde parle d’authenticité, il est, en effet, important de comprendre qu’être authentique signifie être en lien avec son « soi intérieur ». Or, dans une société de plus en plus tournée vers les services, où l’on joue de plus en plus sur les émotions, il est parfois difficile d’agir en étant connecté à nos signaux internes. Les personnes en burn-out ou en situation de détresse professionnelle, sont souvent des personnes qui ont inhibé leurs marqueurs émotionnels à tel point qu’à un moment, elles décompressent et ne comprennent pas vraiment ce qui se passe. L’entourage est également souvent dans l’incompréhension car la personne « paraissait bien ou allait mieux ». En effet, coupée de ses capteurs sensoriels, elle a tenu jusqu’à ce que le corps lâche…

Il est donc important d’entamer un travail thérapeutique pour (ré)apprendre à être à l’écoute de ses états internes puis de savoir comment traiter ceux-ci. C’est alors que nous pourrons parler d’authenticité.

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Je peux vous accompagner afin d’apprendre ou réapprendre à écouter vos états internes (émotions) puis à les traiter de manière cohérente pour vous et votre environnement. N’hésitez pas à me contacter pour un premier entretien gratuit. Nous évoquerons ensemble votre situation et identifierons vos besoins.

Parler du Burn-out sans tabou et préjugé est un vrai pas pour prévenir le syndrome d’épuisement professionnel et favoriser le bien-être des salariés.

Sources :

    • Les Cols Blancs, Charles Wright Mills, 1951
    • The Managed Heart : The Commercialization of Human Feeling, Arlie Russel Hochschild, 1979
    • Le grand livre de l’Analyse transactionnelle, France BRECARD & Laurie HAWKES, Eyrolles, 2021

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